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Ce mercredi 4 décembre 2024, à la suite de l’utilisation de l’article 49.3 de la Constitution par le Premier ministre pour faire adopter le budget de la sécurité sociale, les députés de l’Assemblée nationale ont renversé le gouvernement par une motion de censure, contraignant ainsi le Premier ministre à démissionner. Un tel événement ne s’était produit qu’une seule fois auparavant, en 1962.
La Constitution française, en son article 50, prévoit la destitution du Premier ministre et de son gouvernement en cas de vote d’une motion de censure par la majorité absolue des membres de l’Assemblée nationale, soit 289 députés.
Ce lundi 2 décembre, le Premier ministre, Michel Barnier, a annoncé sa décision de recourir à l’article 49.3 de la Constitution, engageant ainsi la responsabilité de son gouvernement afin de faire adopter le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2025. En réponse à l’utilisation de cet article par le chef du gouvernement, le mercredi 4 décembre, 331 députés de l’Assemblée nationale, comprenant des députés du RN et du NFP, ont voté en faveur de la motion de censure déposée par le Nouveau Front Populaire, entraînant ainsi la chute du gouvernement actuel.
Quels sont les conséquences de l’adoption de la motion de censure ?
Depuis hier, la France se retrouve sans Premier ministre, c’est désormais au président de la République, Emmanuel Macron, de nommer un nouveau Premier ministre. Bien que la Constitution ne fixe pas de délai pour cette nomination, des considérations politiques, notamment le débat budgétaire, pourraient inciter le président à accélérer le processus. En effet, la destitution du gouvernement en place entraîne le rejet du projet de loi de finances de la Sécurité sociale (LFSS), rendant d’autant plus pressante la nécessité d’un nouveau gouvernement capable de gérer cette question cruciale.
La LFSS pour 2025, ainsi que la Loi de Finances (LF) pour l’État, doivent être promulguées au plus tard le 31 décembre 2024 et publiées au Journal officiel pour entrer en vigueur.
Quelle est la différence entre PLF et PLFSS ?
Le PLF (Projet de Loi de Finances) et le PLFSS (Projet de Loi de Financement de la Sécurité Sociale) sont présentés et votés simultanément, mais ils n’ont pas la même nature. Le PLF débouche sur la loi de finances (LF), qui détermine le budget de l’État pour l’année à venir. Le PLFSS, quant à lui, définit les objectifs de dépenses de la sécurité sociale, afin de maîtriser les dépenses sociales et de santé, sans avoir une portée budgétaire contraignante au même titre que la LF.
La loi de finances (LF)
Cette loi établit le budget annuel de l’État, comprenant les recettes (impôts et taxes payés par les citoyens et les entreprises) et les dépenses publiques (éducation, santé, police, justice, etc.). L’élaboration du PLF est un processus politique complexe, entamé dès le début de l’année, pour aboutir à une adoption le 31 décembre de la même année.
La loi de financement de la sécurité sociale (LFSS)
La LFSS détermine les objectifs de dépenses de la sécurité sociale, en fonction des prévisions de recettes. L’article 34 de la Constitution précise que ces lois “déterminent les conditions générales de son équilibre financier et, compte tenu de leurs prévisions de recettes, fixent ses objectifs de dépenses”.
L’absence d’une loi de finances, quelles conséquences ?
En France, l’absence de loi de finances ne mène pas au « shutdown » des administrations comme aux États-Unis, où ce scénario entraîne la suspension des services publics. En effet, la Constitution et la législation françaises prévoient des solutions de secours pour assurer le fonctionnement des services essentiels et éviter une paralysie totale de l’État.
L’utilisation de l’article 47 de la Constitution
Selon l’article 47, “Si le Parlement ne s’est pas prononcé dans un délai de soixante-dix jours, les dispositions du projet peuvent être mises en vigueur par ordonnance.” Cela signifie que le Gouvernement pourrait adopter le budget par ordonnance si le Parlement ne se prononce pas dans ces délais. Toutefois, cette solution a peu de chances d’aboutir, car elle pourrait être perçue comme antidémocratique, allant à l’encontre du principe de séparation des pouvoirs et de la responsabilité législative du Parlement.
L’emploi d’une loi spéciale
Le Gouvernement pourrait proposer une loi spéciale avant le 19 décembre, permettant de continuer à fonctionner temporairement avec le budget 2024 jusqu’au vote du budget 2025.
Toutefois, cette solution présente des inconvénients importants. Le budget 2024, qui ne prend pas en compte l’inflation, pourrait entraîner une hausse de l’impôt sur le revenu pour de nombreux Français. En effet, les tranches d’imposition étant calculées en fonction de l’inflation, l’absence de cette prise en compte pourrait faire passer plus de 380 000 foyers au statut imposable, ce qui n’aurait pas été le cas avec un budget 2025 actualisé.
Pour atténuer cet effet, une loi spéciale adoptée par le Parlement pourrait intégrer l’inflation dans les calculs des tranches d’imposition.
L’application des douzièmes provisoires
Cette mesure, soumise à l’accord du Conseil Constitutionnel, permettrait au Gouvernement de continuer à fonctionner même sans budget complet. Concrètement, cela signifie que l’État pourrait percevoir les recettes fiscales et procéder à des dépenses mensuelles correspondant à une fraction (un douzième) du budget de l’année précédente (2024) jusqu’à l’adoption du budget annuel.
Les pouvoirs exceptionnels de l’article 16 de la Constitution
L’article 16 de la Constitution peut être activé en cas de menace grave et immédiate contre les institutions de la République, ou si le fonctionnement régulier des pouvoirs publics est interrompu.
Dans ce contexte, le président de la République concentre entre ses mains les pouvoirs législatif et exécutif. Cependant, cette mesure exceptionnelle constitue une entorse à la démocratie, ce qui justifie les conditions strictes encadrant son application. La situation doit présenter un caractère à la fois grave et immédiat, impliquant que “les institutions de la République, l’indépendance de la Nation, l’intégrité de son territoire ou l’exécution de ses engagements internationaux sont menacés”. De plus, il doit être établi que “le fonctionnement régulier des pouvoirs publics constitutionnels est interrompu”.
Avant de mettre en œuvre ces pouvoirs exceptionnels, le président de la République est tenu de consulter le Premier ministre, les présidents des assemblées ainsi que le Conseil constitutionnel, dont l’avis est publié. Enfin, il doit informer la Nation par un message officiel, dans lequel il expose la nature de la menace et les mesures prises pour la surmonter, assurant ainsi une forme de transparence et de communication avec la population.
Qui pour succéder à Michel Barnier ?
Selon l’article 8 de la Constitution, “le Président de la République nomme le Premier ministre”. Ce jeudi 5 décembre à 20h, le Président Emmanuel Macron prendra la parole pour s’adresser aux Français. Pour l’instant, seules des hypothèses peuvent être formulées quant au successeur de Michel Barnier.
Dans les différents scénarios envisagés, le Président pourrait nommer un Premier ministre issu du Nouveau Front Populaire (NFP), le parti arrivé en tête lors des dernières élections législatives de cet été. Pour rappel, Lucie Castets avait été désignée candidate par le NFP. Cependant, ce dernier ne disposant pas d’une majorité à l’Assemblée nationale, il devrait s’allier avec d’autres groupes politiques pour former une coalition.
Emmanuel Macron pourrait également opter pour un Premier ministre issu du centre gauche afin de favoriser des compromis avec le bloc central. Toutefois, une telle nomination n’offrirait pas nécessairement de garantie pour obtenir une majorité absolue.
Enfin, une autre possibilité serait de former un gouvernement technique en attendant les prochaines élections législatives. Ce type de gouvernement, composé d’experts sans affiliation politique, aurait pour mission de gérer les affaires courantes. Il est important de rappeler que de nouvelles élections législatives ne peuvent être organisées avant juillet prochain, car une nouvelle dissolution de l’Assemblée nationale ne peut avoir lieu avant un délai de 12 mois après la précédente dissolution.
The French political crisis
On Wednesday December 4, 2024, following the France’s Prime Minister’s use of Article 49.3 of the Constitution to pass the social security budget, the deputies of the National Assembly overthrew the government with a motion of censure, forcing the Prime Minister to resign. Such an event had only occurred once before, in 1962.
Article 50 of the French Constitution provides for the dismissal of the Prime Minister and his government in the event that the motion of censure is passed by an absolute majority of the members of the National Assembly, i.e. 289 deputies.
On Monday December 2, Prime Minister Michel Barnier announced his decision to use Article 49.3 of the Constitution to pass the Social Security Financing Bill for 2025. In response to the use of this article by the head of government, on Wednesday December 4, 331 deputies of the National Assembly, including Rassemblement National* (RN) and New Popular Front* (NFP) deputies, voted in favor of the motion of censure, which was proposed by the NFP, bringing down the current government.
What are the consequences of adopting the motion of censure?
Since yesterday, France has been without a Prime Minister, and it is now up to the President of the Republic, Emmanuel Macron, to appoint a new Prime Minister. Although the Constitution does not set a deadline for this appointment, political considerations, notably the budget debate, could prompt the President to speed up the process. In fact, the dismissal of the current government means the rejection of the Social Security Finance Bill (LFSS), making the need for a new government that is capable of managing this crucial issue all the more pressing.
The LFSS for 2025, together with the Loi de Finances (LF) for the state, must be enacted by December 31, 2024 at the latest and published in the Journal Officiel to come into force.
What’s the difference between the PLF and PLFSS?
The PLF (Projet de Loi de Finances) and the PLFSS (Projet de Loi de Financement de la Sécurité Sociale) are presented and voted on simultaneously, but they are not the same in nature. The PLF leads to the Finance Law (LF), which determines the State budget for the coming year. The PLFSS, on the other hand, defines social security expenditure targets, with the aim of controlling social and healthcare spending, without having the same binding budgetary scope as the LF.
The Finance Act (LF)
This law establishes the State’s annual budget, including revenues (taxes paid by citizens and companies) and public service expenses (education, health, police, justice, etc.). The drafting of the PLF is a complex political process, starting at the beginning of the year and culminating in its adoption on December 31 of the same year.
The Social Security Financing Act (LFSS)
The LFSS sets social security expenditure targets, based on revenue forecasts. Article 34 of the French Constitution imposes that these laws “determine the general conditions of its financial equilibrium and, taking into account their revenue forecasts, set its expenditure targets”.
What are the consequences of the absence of a finance bill?
In France, the absence of a budget bill does not lead to a government shutdown, as it would in the United States, where this scenario would result in the suspension of public services. In fact, the French Constitution and legislation provide for back-up solutions to ensure the operation of essential services and avoid a total paralysis of the State.
Using Article 47 of the Constitution
According to article 47, “If Parliament has not voted within a period of seventy days, the provisions of the bill may be brought into force by ordinance*.” This means that the Government could adopt the budget by ordinance if Parliament fails to take a decision within this timeframe. However, this solution is unlikely to succeed, as it could be perceived as undemocratic, running counter to the principle of separation of powers and Parliament’s legislative responsibility.
The use of a special law
The government could propose a special law before December 19, allowing the 2024 budget to continue to operate temporarily until the 2025 budget is voted.
However, this solution has major drawbacks. The 2024 budget, which does not take inflation into account, could lead to an increase in income tax for many French people. Indeed, as tax brackets are calculated according to inflation, the absence of this consideration could result in over 380.000 low-income households being unpromptly taxated, which would not have been the case with an updated 2025 budget.
To mitigate this effect, a special law passed by Parliament could integrate inflation into the calculation of tax brackets.
Application of provisional twelfths
This measure, subject to approval by the French Constitutional Council, would enable the government to continue operating even without a full budget. In practical terms, this means that the state could collect tax revenues and make monthly expenditure corresponding to a fraction (onet welfth) of the previous year’s budget (2024) until the annual budget is adopted.
Exceptional powers under Article 16 of the Constitution
Article 16 of the Constitution may be activated in the event of a serious and immediate threat to the institutions of the Republic, or if the regular functioning of the public authorities is interrupted.
In this context, the President of the Republic holds both legislative and executive powers in his hands. However, this exceptional measure constitutes a breach of democracy, which justifies the strict conditions restricting its application. The situation must be both serious and immediate, implying that “the institutions of the Republic, the independence of the Nation, the integrity of its territory or the fulfillment of its international commitments are threatened”. In addition, it must be established that “the regular functioning of the constitutional public powers has been interrupted”.
Before implementing these exceptional powers, the President of the Republic is required to consult the Prime Minister, the Presidents of the Assemblies and the Constitutional Council, whose opinion is published. Finally, he must inform the nation by means of an official message, in which he explains the nature of the threat and the measures taken to overcome it, thus ensuring a form of transparency and communication with the population.
Who will succeed Michel Barnier?
According to Article 8 of the French Constitution, “the President of the Republic appoints the Prime Minister”. This Thursday, December 5 at 8pm, President Emmanuel Macron will address the French people. For the moment, only hypotheses can be formulated as to Michel Barnier’s successor. In the various scenarios envisioned, the President could appoint a Prime Minister from the Nouveau Front Populaire (NFP), the party that came out on top in this summer’s legislative elections. As a reminder, Lucie Castets had been nominated by the NFP. However, as the NFP does not have a majority in the National Assembly, they will have to join forces with other political parties to form a coalition. Emmanuel Macron could also opt for a Prime Minister from the center-left, in order to promote compromise with the central block. However, such an appointment would not necessarily guarantee an absolute majority. Finally, another possibility would be to form a technical government pending the next legislative elections. This type of government, made up of experts with no political affiliation, would be tasked with managing current affairs. It is important to remember that new legislative elections cannot be organized before next July, as a new dissolution of the National Assembly cannot take place before 12 months after the previous dissolution.
*Ordinance : normative text presented by the Government in an area that is normally governed by law.
* Rassemblement National (RN) : French far-right political party founded in 1972 and chaired by Jean-Marie Le Pen (from 1972 to 2011), Marine Le Pen (from 2011 to 2021), then Jordan Bardella (since 2021). The party currently has 124 seats in the French National Assembly.
* New Popular Front (NPF) : coalition of the main French left-wing political parties, formed on June 10, 2024 aimed at the 2024 legislative elections in opposition to the parties of the presidential majority as well as the RN, in the context of the rise of the extreme right during the 2024 European elections in France. The party currently has between 172 and 192 seats in the French National Assembly.